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Photo du rédacteurnicolas millet

"[since feeling is first]" | e.e cummings


Photograph by Edward Weston / Photograph by Center for Creative Photography, Arizona




since feeling is first

who pays any attention

to the syntax of things

will never wholly kiss you;


wholly to be a fool

while Spring is in the world


my blood approves,

and kisses are a better fate

than wisdom

lady i swear by all flowers. Don’t cry

—the best gesture of my brain is less than

your eyelids’ flutter which says


we are for each other: then

laugh, leaning back in my arms

for life’s not a paragraph


and death i think is no parenthesis


e.e. cummings, Is 5, 1926.

[poem in public domain]



e.e cummings, Abstraction, huile sur toile, 2 mai 1943.



puisque ressentir est premier

qui prête seulement attention

à la syntaxe des choses

n’ira jamais entièrement te couvrir de baisers ;

entièrement être un idiot

quand le Printemps est

pour de bon dans le monde


mon sang dit oui,

et les baisers sont un meilleur destin

que la sagesse

belle je le jure par toutes les fleurs. Ne te récrie pas

—le meilleur mouvement de ma cervelle est moins que

le battement de tes paupières qui dit


nous sommes chacun pour l’autre : alors

rire, quand en arrière tu te penches dans mes bras

car la vie n’est pas un paragraphe


et la mort à mon avis en rien parenthèse



e.e. cummings, Font 5, 1926.

© éditions atmen, août 2022,

pour la trad. fr. [Nicolas Millet]




NOTES SUR LA TRADUCTION :



Traduire le signe au lieu de traduire le poème, c'est désécrire.


Henri Meschonnic,


Ethique et politique du traduire,

Editions Verdier, 2007, p. 82.



Ce qui signifie, à l'inverse, que si traduire veut, peut être écrire (et ne pas désécrire son objet : le texte, en en effaçant le jeu du rythme et du signifiant qui le trame, au profit du seul sens : i.e, ici, du seul signifié), on doit, avec les moyens propre à sa langue, tenter le transfert, d'une langue à l'autre, des paronomases, des allitérations, des assonances, etc.,


et manifester dans le texte redonné, rejoué en une autre langue ce que l'oreille, dans son décevoir premier, ne peut recevoir de l'original, mais peut entendre autrement, bien que, de fin visée, pareillement ;


& l'œil lui-même n'est pas en reste : son attention décuplée devant le poème, son réel état d'alerte pourrait-on dire, à la faveur du poème, lui donne, paradoxalement, de faire plus que lire :


il ne fait pas que déchiffrer l'unité des mots composés de lettres, mais s'ouvre aussi à leur dimension plastique et non pratique : formes nouvelles composant, à même l'écrit, une autre partition - que celle-ci soit de division ou musicale ─ auquel l'œil alors se fait sensible.


Dans cet échappée du regard autrement lecteur, s'ouvre alors la possibilité d'une jouvence de ce même regard, voyant dans le dire du poème qui s'écrit sous ses yeux à mesure qu'il le lit, quelque chose de plus, d'autre qu'un énoncé déterminé ─ ou à déterminer.


Devant lui, le dit du poème se fait maintenant monstration, apparition : s'y décèle d'autres figures, jusque-là invues ─ y compris de/du sens. Alors : tenter de jouer sur cette puissance de voir, forme du savoir aussi, dans la traduction ; pour faire passer, comme en contrebande, ce qu'à défaut de pouvoir dire (ou de redire de l'original, en son lieu et à sa place) on (ne) peut alors (que) faire (ap)paraître.


D'où la différence de couleur, le grisé du texte, en certains points décisifs, pour marquer (temporairement ? à la faveur d'un unique tenter ?), à même le signifiant du mot (son être-concret : matériel-graphique) l'épaisseur du poème, de son texte ; signifiant qui alors ne s'efface pas, plus derrière ou au profit du sens et de son abstraction significative, i.e le signifié.


Et s'il est un poète qui a su faire travailler sa langue (comme pour tous/toutes d'abord, reçue, apprise et maîtrisée) au point de sa déprise syntaxique et sémantique, au point d'un éclat (fragments & intensité tout à la fois) proprement inédit des mots et de leurs lettres, c'est bien e.e. cummings.


Un travail de la langue au creux de la parole poétique ─ au creuset même de celle-ci. Comme on peut dire du bois qu'il travaille : se craquèle, se fissure, se dé-forme, sous l'effet de l'humidité. Cherchant à rejoindre, tendant à égaler en son sein : à s'accorder, même : visée mimétique ?, au taux d'humidité extérieur, ambiant. Comme le mouvement de la langue poétique, le réel ?


Alors tenter de faire droit à ce qui s'ouvre et s'offre de l'original dans la tournure des mots trouvés dans la langue, cette langue dans laquelle on traduit. Et pour rendre plus sensible la chose, cette nouvelle tournure des choses, où le non-identique se donne comme même, on l'espère,



QUELQUES APOSTILLES A NOTRE TRADUCTION



* où le "bond" que le mot "spring" dénote tout aussi bien que le "printemps" lui-même ou encore la "source", et que tout américain entend uniment, est à la fois ici vu & entendu dans l'ajout du vers : "pour de bon dans le monde".


* où "ressentir", grisé en son commencement, dit à la fois la chose ("res" en latin) à sentir et son redoublement dans le sentiment intérieur. L'intraduisible "feeling" est bien, ici, une épreuve de la chose elle-même ; et non, seulement, le fait de l'intériorité s'éprouvant elle-même à la faveur d'un objet. Il dit l'impression dans sa double dimension objective et subjective : la sensation reçue, le sentiment perçu : sentir de l'objet senti par le sujet : rapport au monde, ouverture à ce qu'il est : ouverture à ce qui est.

* où le "i think" devient "à mon avis" pour rejouer assonance et allitération de l'anglais : "the death I think is" : "la mort à mon avis" ; comme le "en rien parenthèse", traduisant à sa suite : "(is) no parenthesis", voudrait reprendre autrement mais pareillement le jeu sonore-visuel "is/sis" : "rien/ren".


* last but not least, peut-être : dans le choix de "mon sang dit oui" pour "my blood approves" : l'"idiot" apparaît, réapparaît : remis dans le désordre et donc à sa juste place : "mon sang D I T O u I". Puissance de manifestation de la langue de traduction, qui actualise et déploie ce qui dans le poème en langue originale restait seulement à l'état de virtualité et pourtant l'innervait de sa présence souterraine. Ecrire et non désécrire, donc. Entendre & voir.

N.Millet



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